GEO Histoire : On a souvent entendu dire que les Gaulois avaient peur que le ciel ne leur tombe sur la tête. D’où vient cette idée ?
Jean-Louis Brunaux : C’est un fait historique avéré. Et, chose rare dans l’Antiquité, il est rapporté par un témoin direct de l’événement, Ptolémée, un des généraux d’Alexandre le Grand. Il écrit que vers 335 avant J.-C., le conquérant reçut une délégation de guerriers gaulois venus lui proposer leurs services. A l’issue du banquet qu’il donne en leur honneur, Alexandre demande à ses hôtes s’ils ont peur de lui. Ce à quoi les Gaulois répondent qu’ils n’ont peur de rien si ce n’est que le ciel ne leur tombe sur la tête. Cette phrase résumait en partie leurs croyances. Ils imaginaient le ciel comme une sorte de dais reposant sur des colonnes et craignaient qu’il ne s’effondre.
Mais pour eux, cela ne signifiait pas la fin du monde, cela marquait simplement la fin d’un cycle. C’est ainsi qu’ils concevaient l’univers : une succession de cycles marqués par la destruction et la reconstruction.
Que savons-nous sur leur conception du temps ?
On a retrouvé des calendriers gaulois. Le plus célèbre est celui de Coligny (photo), dans l’Ain. Ces calendriers très élaborés ont sans doute été réalisés par les druides. Ils ont été calculés en tenant compte des cycles lunaires et des cycles solaires. Un tel résultat a nécessité l’observation des astres sur de très longues périodes, un millénaire peut-être. La maîtrise du temps donnait aux druides un grand pouvoir. Ils décidaient ainsi des jours favorables aux célébrations religieuses, mais aussi aux batailles qui scandaient la vie de la société.
On sait aussi que les Gaulois comptaient le temps en nuits et non en jours comme nous le faisons. Cela s’explique par le fait qu’ils croyaient en un dieu souterrain dont on ignore le nom, mais que dans La Guerre des Gaules, César compare à Pluton, le dieu des enfers, et nomme « Dis Pater ».
L’âme était considérée comme immortelle et, après la mort, elle retournait dans la terre où Dis Pater la conservait pour un temps indéterminé avant sa réincarnation. Les humains sont donc tous les fils de ce dieu, les fils de ces enfers sombres, et donc de la nuit.
Y a-t-il d’autres dieux gaulois dont on saurait quelque chose ?
On en sait ce que nous dit César. Il nous montre un panthéon qui ressemble beaucoup à celui des Romains. Il prête à ces dieux des fonctions civilisatrices : le commerce, les arts et métiers… Il n’est pas du tout évident que le commun des mortels croyait en ces divinités. Avant que les druides ne s’en mêlent, la religion des Gaulois était très archaïque. Elle était héritière de la préhistoire, les gens croyaient aux déesses mères, à des êtres infernaux…
A partir du Ve siècle, les druides se sont emparés de la religiosité populaire. Ils l’ont remplacée par une conception extrêmement spirituelle et philosophique dans laquelle la représentation des dieux était interdite. Ils devenaient ainsi les seuls intercesseurs auprès du divin. En réalité, les druides ont instauré une forme de monothéisme. Ils croyaient en une sorte de dieu omnipuissant, juste et bon… Un dieu qui favorisait la civilisation.
Quel était le rôle tenu par les bardes et les « vates » ?
Les bardes chantaient les épopées des hommes mais aussi celles des dieux. Ce chant, accompagné à la lyre, avait une puissance absolument considérable. Il était perçu comme sacré par ceux qui l’entendaient. Les louanges des bardes ou leurs satires pouvaient faire ou briser des carrières politiques. Les « vates », quant à eux, étaient des devins. Ils procédaient à des sacrifices d’animaux et prédisaient l’avenir d’après l’aspect du sang.
En fait, on s’aperçoit que ces trois catégories – druides, bardes et vates – n’ont pas évolué en même temps. Le rôle des bardes était sans doute très important aux VIe et Ve siècles avant J.-C.. Ils ont par la suite été combattus par les druides qui cherchaient à imposer leur pouvoir. Quand le savant grec Posidonius d’Apamée les décrit, à la fin du IIe siècle avant J.-C., les bardes ne sont plus que des parasites de cour, leur rôle s’est terriblement dégradé. Quant aux vates, ils semblent venir des temps très anciens de l’Histoire. Très vite, ils ont disparu, eux aussi chassés par les druides.
Que nous révèle l’archéologie sur leurs pratiques cultuelles ?
Il y a encore une quarantaine d’années, on pensait que les Gaulois n’avaient pas de lieux de culte. Puis, en 1975, j’ai découvert un premier sanctuaire, à Gournay-sur-Aronde, dans l’Oise. Il s’agit d’une enceinte d’une cinquantaine de mètres carrés, édifiée à la fin du IVe siècle avant J.-C. Elle était, à l’origine, entourée de hauts murs de terre. L’entrée était marquée par un porche monumental sur lequel étaient exposées des têtes coupées, comme en témoignent les restes de crânes humains retrouvés.
Ce sanctuaire comme ceux découverts par la suite, était bâti selon des règles géométriques strictes. L’entrée se trouvait face au soleil levant durant le solstice d’été, et dans l’axe, au centre de l’enclos était creusé un autel. Auprès de celui-ci, un bois sacré symbolisait la présence des dieux. Il s’agissait le plus souvent d’un arbre ou d’un bosquet.
Le sanctuaire de Gournay-sur-Aronde était entouré de fossés dans lesquels on a retrouvé des restes d’animaux domestiques et des milliers d’armes qui nous renseignent sur les rites religieux.
Tout d’abord, les sacrifices. Ils étaient de deux sortes. Le plus courant était le sacrifice de commensalité, qui consistait à partager la viande des animaux immolés. D’abord avec les dieux, qui héritaient de la part la moins comestible de la bête. Mais aussi entre les hommes qui se répartissaient gigots, côtes… à l’intérieur du sanctuaire, transformé pour l’occasion en lieu de banquet.
Un second type de sacrifices consistait à égorger l’animal pour déverser son sang dans la fosse de l’autel, puis à y jeter la dépouille. Le dieu des enfers s’abreuvait ainsi de la totalité de la bête sacrifiée. Les spécialistes de la religion qualifient ces sacrifices de « chthoniens » parce qu’ils s’adressent à une divinité souterraine.
On honorait aussi les dieux en leur donnant des biens matériels. Aux IVe et IIIe siècles avant notre ère, les offrandes consistaient surtout en armes. D’où les vestiges, très nombreux, découverts à Gournay-sur-Aronde. La guerre était considérée comme un acte sacré, un immense sacrifice. Les trophées revenaient donc aux dieux. On accrochait ainsi les armes prises aux ennemis sur les murs à l’intérieur même de l’enceinte.
Les Gaulois pratiquaient-ils des sacrifices humains ?
Cela a sans aucun doute existé à des époques très anciennes, avant le Ve siècle. Mais comme c’était le cas dans d’autres civilisations, chez les Grecs et les Romains par exemple. Ce genre de pratiques était très courant dans l’Antiquité.
En Gaule, ce sont probablement les vates qui faisaient office de sacrificateurs. Pour prédire l’avenir, ils donnaient un coup d’épée dans le thorax de la victime, au niveau du diaphragme. Ensuite, ils observaient la manière dont le sang coulait ou dont l’homme titubait… et interprétaient cela comme un signe leur permettant de prévoir l’issue d’une bataille.
Quand les druides ont décidé de moraliser la société archaïque, ils ont fait en sorte de remplacer les sacrifices humains par des peines judiciaires. Mais, même à ce moment-là, la mise à mort était rare.
En réalité, la peine la plus importante pour un citoyen était de ne plus participer aux cérémonies religieuses, d’être exclu de la communauté civique. Cela suffisait à les dissuader d’enfreindre les lois. On a d’ailleurs un exemple archéologique fabuleux qui illustre ces pratiques judiciaires. Des fouilles réalisées il y a une quinzaine d’années à Fesque, en Normandie, ont mis au jour un lieu de rassemblement d’une douzaine d’hectares situé en haut d’une colline. On y a retrouvé des dizaines de milliers d’ossements de veaux et des débris de gobelets. D’immenses banquets devaient se tenir en ce lieu et les participants n’hésitaient pas à sacrifier des troupeaux entiers.
A l’extérieur de cette enceinte, dans le fossé de clôture, on a retrouvé des restes humains, les pieds plantés dans le sol. Cela signifie que ces individus étaient morts debout. Soit ces hommes avaient été crucifiés, soit ils avaient été pendus, mais tous avaient le regard tourné vers l’enceinte. Cette mise en scène laisse à penser qu’on était face à des exécutions de type judiciaire. Les victimes n’étaient pas offertes en sacrifice mais jugées, condamnées à mort et exclues de la communauté civique.
Et leurs rites funéraires ?
On a retrouvé pas mal de sépultures, mais très peu de nécropoles. Ces tombes sont pour la plupart anciennes et appartenaient en général aux membres de l’élite. La plupart des individus décédés n’étaient pas inhumés, mais jetés dans des rivières ou dans des silos enterrés dans le sol.
Au Ve siècle, avant que les druides ne conquièrent le pouvoir, les conceptions funéraires étaient encore celles du premier âge de fer. Les morts, qui étaient mis en terre, étaient accompagnés d’objets : des armes, des céramiques ou des bijoux… Leurs proches les déposaient là car ils s’imaginaient que les disparus vivaient une sorte de vie léthargique, dans un autre monde.
Ensuite, sous l’influence des druides, les rites funéraires se sont transformés : les inhumations ont été remplacées par des incinérations, sans matériel d’accompagnement cette fois, car, dans cette nouvelle vision de la mort, les âmes étaient renvoyées vers les enfers. On faisait un simple trou dans le sol pour y déposer les ossements. Il faut attendre le Ier siècle avant J.-C. et l’influence romaine pour que l’on revienne à des sépultures plus fastueuses.
Pourquoi réservait-on un sort particulier aux guerriers ?
Les druides, pour asseoir leur autorité, ont dû composer avec le monde guerrier, qui dominait alors la société, et s’assurer de son soutien. Ils ont alors décrété que les guerriers morts sur les champs de bataille, mais uniquement dans le camp des vainqueurs, quittaient le cycle des réincarnations et que leurs âmes allaient aussitôt au paradis. Cette théorie fut de surcroît très efficace lors des combats puisque, de ce fait, les guerriers étaient d’une témérité à toute épreuve, et préféraient mourir sur le champ de bataille plutôt que d’être blessés.
Des fouilles que j’ai menées à Ribemont- sur-Ancre, dans la Somme, sur un ancien champ de bataille, ont révélé que les vainqueurs avaient construit ce qui peut s’apparenter à une tour du silence, à la manière de celles que construisent les Parsis pour y déposer leurs morts.
Il s’agissait d’une enceinte circulaire – rare chez les Gaulois – avec un mur colossal et orné de gravures. A l’intérieur, sur un dallage, ils avaient déposé les cadavres des guerriers morts aux combats afin qu’ils soient dévorés par les oiseaux ou les chiens. Une fois cette étape achevée, le mur avait été démonté et les restes humains jetés dans les fossés qui avaient servi de fondation. On a alors remplacé cette tour par un cercle de stèles : des blocs de gré représentaient chacun de ces héros. Leurs successeurs et leurs descendants se réunissaient là pour tenir des banquets commémoratifs en l’honneur des vainqueurs.
Cette bataille a eu lieu dans les années 260 avant J.-C., et on a encore retrouvé des traces de festins datant du Ier siècle avant J.-C., soit quelques années précédant la conquête romaine ! L’archéologie nous apprend beaucoup sur les mœurs de ces anciens Gaulois. Et souvent, elle confirme ce que nous racontent les auteurs antiques.
Jean-Louis Brunaux, spécialiste de la civilisation gauloise
Chercheur au CNRS, Jean-Louis Brunaux a dirigé de nombreuses fouilles archéologiques en Picardie. Il est l’auteur de plusieurs livres sur la civilisation gauloise dont Les Druides, des philosophes chez les barbares (éd. du Seuil, 2006), Nos ancêtres les Gaulois (éd. du Seuil, 2008) , Alésia (éd. Gallimard, 2012), et, plus récemment, Les Gaulois (éd. Tallandier, 2020).